12 décembre, 2023
Numéro 2023-37F
Le 30 novembre 2023, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-591, qui contient des dispositions législatives modifiant la règle générale anti-évitement (RGAE) dans l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Ces modifications ont pour but de resserrer la RGAE. Elles :
Le présent Point de vue fiscal donne un aperçu de ces modifications législatives. Les contribuables devraient passer ces changements en revue et se renseigner à leur sujet, et déterminer s’ils sont susceptibles de s’appliquer à leurs opérations actuelles ou futures.
La RGAE a pour but de prévenir les opérations d’évitement fiscal abusives sans pour autant nuire aux opérations commerciales ou familiales légitimes. Lorsqu’on constate un évitement fiscal abusif, la RGAE s’applique et refuse l’avantage fiscal découlant de l’opération ou de la série d’opérations abusive. L’Agence du revenu du Canada (ARC) peut refuser une déduction, une exemption ou une exclusion dans le calcul du revenu imposable; ou qualifier autrement la nature d’un paiement ou d’un autre montant pour refuser l’avantage fiscal qui résulterait d’une opération d’évitement.
Le 9 août 2022, le gouvernement fédéral a amorcé une consultation sur la modernisation de la RGAE et, dans son budget fédéral 2023, a annoncé des propositions précises pour modifier la RGAE qui ont fait l’objet de consultations supplémentaires. Les dispositions législatives contenues dans le projet de loi C-59 mettent en application les changements qui ont été débattus et façonnés par ces consultations.
Le projet de loi C-59 ajoute à la RGAE un préambule qui a pour but :
Le préambule prévoit que la RGAE « s’applique pour refuser les avantages fiscaux des opérations d’évitement qui entraînent directement ou indirectement un abus des dispositions de la présente loi... ou un abus eu égard à ces dispositions lues dans leur ensemble sans empêcher les contribuables d’obtenir les avantages fiscaux visés par le Parlement ». Cela montre que la RGAE a pour objet de limiter la planification fiscale, de sorte que la faculté du contribuable de se livrer à certaines formes de planification fiscale n’aille pas jusqu’à un abus des règles fiscales.
Le préambule clarifie que la RGAE vise à trouver un équilibre raisonnable entre la protection de l’assiette fiscale et le besoin de certitude des contribuables dans la planification de leurs affaires.
La RGAE ne s’applique qu’aux « opérations d’évitement ». Le projet de loi C-59 modifie le critère relatif aux opérations d’évitement en abaissant le seuil du critère de l’objet. L’« objet principal » dans le critère relatif aux opérations d’évitement actuel est remplacé par « l’un des principaux objets », ce qui abaisse le seuil auquel on peut considérer qu’une opération en est une d’évitement. Plus particulièrement, une opération sera une opération d’évitement si un des principaux objets du contribuable dans sa façon d’entreprendre ou d’organiser une opération est d’obtenir un avantage fiscal.
Le projet de loi C-59 ajoute un critère de substance économique explicite dans la RGAE, lequel sera considéré au stade « abus » de l’analyse au titre des paragraphes 245(2) et (4) de la Loi. On vise ainsi à s’assurer que la substance économique est adéquatement prise en compte lorsqu’on détermine si une opération d’évitement va à l’encontre de l’objet et du but des dispositions pertinentes.
Le nouveau paragraphe 245(4.1) dans la Loi prévoit que « [s]i une opération d’évitement... manque considérablement de substance économique, il s’agit d’un facteur important qui tend à indiquer que l’opération constitue un abus en vertu des alinéas 4(a) ou (4)(b) ». Pour cette raison, on doit considérer un manque appréciable de substance économique comme un facteur important qui nous pousse à conclure qu’il y a eu abus.
Par conséquent, un manque appréciable de substance économique pourrait indiquer qu’il y a abus. Cependant, selon les faits pertinents et la loi, d’autres considérations pourraient montrer que l’opération ne va pas à l’encontre de la logique des dispositions et, donc, ne constitue pas un abus.
La signification du passage « manque considérablement de substance économique » apparaît dans le nouveau paragraphe 245(4.2); on y énumère les facteurs ci-après comme susceptibles d’établir qu’une opération manque considérablement de substance économique (la liste n’est pas exhaustive) :
Le projet de loi C-59 instaure une pénalité égale à 25 % de l’avantage fiscal obtenu lorsqu’il est déterminé que la RGAE s’applique. Lorsque l’avantage fiscal obtenu est le produit d’un attribut fiscal qui n’a pas encore été utilisé pour réduire l’impôt à payer, aucune pénalité ne s’applique avant l’année au cours de laquelle l’attribut fiscal est appliqué afin de réduire l’impôt à payer.
On peut éviter la pénalité si :
L’exclusion de la pénalité de la RGAE prévoit que la pénalité ne s’appliquera pas à une opération si le contribuable démontre qu’il était raisonnable de conclure qu’une opération ou une série d’opérations ne serait pas assujettie à la RGAE au moment où elle est effectuée. Le contribuable doit démontrer que l’opération ou la série était identique ou presque à une opération ou série qui a fait l’objet de directives administratives publiées ou d’un jugement rendu par un tribunal, de sorte qu’il était raisonnable de conclure que la RGAE ne s’appliquerait pas.
Le seuil « identique ou presque identique » est élevé, et effectuer une opération qui est simplement similaire pourrait ne pas être suffisant pour justifier cette exclusion de la pénalité de la RGAE.
Pour un contribuable, la « période normale de nouvelle cotisation » relative à une année d’imposition est généralement la période qui se termine trois ou quatre ans (quatre si le contribuable est une fiducie de fonds commun de placement ou une société autre qu’une société privée sous contrôle canadien) après la première des dates suivantes :
En général, l’ARC ne peut pas établir une cotisation ou une nouvelle cotisation après la « période normale de nouvelle cotisation » pour l’année.
Le projet de loi C-59 porte exécution de dispositions législatives qui permettent à l’ARC de prolonger de trois ans la période de nouvelle cotisation pour les opérations ou séries d’opérations pour lesquelles une cotisation a été établie du fait de l’application de la RGAE, à moins que les opérations n’aient été divulguées à l’ARC volontairement ou en vertu des règles de divulgation obligatoire. À cet égard, toute nouvelle cotisation établie au cours de cette période de trois années additionnelles sera limitée à l’établissement de la cotisation fondée sur la RGAE.
À l’exception du préambule, qui entre en vigueur à la sanction royale du projet de loi C-59, les modifications apportées à la RGAE s’appliqueront aux opérations effectuées après 2023. Il est trop tôt pour savoir quelles incidences ces modifications pourraient avoir sur la détermination de l’application de la RGAE à certaines opérations; le risque de les mettre en œuvre pourrait être augmenté et aller jusqu’à des pénalités pouvant atteindre 25 % de l’avantage fiscal.
1. Projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 (première lecture : 30 novembre 2023).
2. Pour en savoir plus, consultez nos bulletins Point de vue fiscal :
- « Règles de divulgation obligatoire : les contribuables, les conseillers et les promoteurs doivent se préparer »
- « L’Agence du revenu du Canada désigne officiellement les premières opérations à signaler »