Point de vue fiscal : L’Agence du revenu du Canada désigne officiellement les premières opérations à signaler

08 novembre, 2023

Numéro 2023-33F

En bref

Le 1er novembre 2023, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a désigné une première série1 d’opérations visées par le régime nouvellement adopté d’« opérations à signaler », qui fait partie des règles de divulgation obligatoires (RDO) améliorées du Canada. Ces opérations et leurs descriptions sont identiques aux exemples d’opérations désignées publiés le 4 février 2022, si ce n’est du fait qu’elles :

  • entrent désormais en vigueur le 1er novembre 2023; et
  • n’incluent plus la manipulation du statut de société privée sous contrôle canadien.

En outre, le 2 novembre 2023, l’ARC a publié des lignes directrices mises à jour sur divers aspects du régime de RDO, dont certains énoncés importants sur l’application transitoire des règles relatives aux opérations à signaler. Ensemble, ces documents laissent entendre que les premières déclarations d’opérations à signaler n’auront pas à être produites avant le 30 janvier 2024.

Les RDO améliorées, adoptées le 22 juin 2023, comportent trois éléments distincts :

  • l’obligation de déclarer, déclenchée par un objet anti-évitement et la présence de l’un de trois marqueurs généraux;
  • le traitement fiscal incertain, déclenché par la constatation d’incertitudes fiscales dans les états financiers;
  • l’obligation de signaler, déclenchée par une ressemblance avec des opérations spécifiquement désignées.

Le présent Point de vue fiscal discute des opérations désignées et de certaines des lignes directrices fournies par l’ARC en ce qui a trait au régime relatif aux opérations à signaler. Pour en savoir plus sur les trois composants du régime de RDO, lisez le Point de vue fiscal « Règles de divulgation obligatoire : les contribuables, les conseillers et les promoteurs doivent se préparer » à www.pwc.com/ca/pointdevuefiscal.

En détail

Contexte

Les contribuables, les conseillers et les promoteurs sont tenus de produire une déclaration de renseignements prescrite au regard d’une opération ou d’une série d’opérations qui est identique, ou essentiellement semblable, à une opération ou série d’opérations « désignée ». Des opérations sont considérées comme essentiellement semblables si on s’attend à ce qu’elles produisent des conséquences fiscales identiques ou similaires et si elles sont semblables dans les faits ou basées sur une stratégie fiscale identique ou similaire. La loi préconise une interprétation qui est largement en faveur de la divulgation.

À partir du 1er novembre 2023, des opérations sont désignées pour ce qui suit :

  • création de pertes sur opérations de chevauchement au moyen d’une société de personnes;
  • évitement de la disposition réputée des biens en fiducie;
  • manipulation du statut de faillite pour réduire un montant remis à l’égard d’une dette commerciale;
  • recours aux critères d’objet de l’article 256.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour éviter une acquisition de contrôle réputée;
  • prêts adossés.

Les opérations désignées sont les opérations que l’Agence considère comme abusives ou dignes d’intérêt. Parmi les opérations nouvellement désignées, seuls les prêts adossés semblent s’inscrire dans cette dernière catégorie. Les désignations peuvent s’appliquer à une seule opération ou à une série d’opérations. Si elles s’appliquent à une série, chaque opération de la série pourrait devoir être signalée. Cependant, une règle permet à un contribuable de produire une déclaration de renseignements pour toutes les opérations de la série au lieu de plusieurs déclarations.

1. Création de pertes sur opérations de chevauchement au moyen d’une société de personnes

Cette désignation cible la planification qui se sert des gains et les pertes compensatoires de positions d’instruments financiers qui sont réalisés à des moments légèrement différents pour permettre au contribuable de demander la déduction à l’égard de la perte tout en reportant la constatation du gain compensatoire, et ce, potentiellement indéfiniment. Le budget fédéral 2017 instaurait des règles anti-évitement particulières qui visaient un tel type d’opération dans laquelle la position perdante était réalisée immédiatement avant la fin d’un exercice financier et la position gagnante, au début de l’exercice suivant. Cependant, le gouvernement fédéral a découvert une variante de cette planification qui a recours à des sociétés de personnes et qui n’est pas assujettie à ces règles anti-évitement.

Opérations désignées

Cette désignation s’applique à une série d’opérations dans laquelle une société de personnes réalise un gain sur un contrat de change à terme immédiatement avant que le contribuable n’acquière une participation dans la société de personnes, et où le gain est attribué à un ancien associé et la position perdante est réalisée et attribuée au contribuable.

2. Évitement de la disposition réputée des biens en fiducie

Ces désignations ciblent la planification visant à éviter une disposition à la juste valeur marchande (JVM) de biens détenus par une fiducie résidente du Canada en vertu de la « règle sur la réalisation réputée tous les 21 ans ». L’objet général de la règle sur la réalisation réputée tous les 21 ans est de forcer la disposition des biens d’une fiducie une fois par génération afin de prévenir le report indéfini de la constatation des gains.

Les règles fiscales autorisent généralement la distribution de biens avec report de l’impôt d’une fiducie à ses bénéficiaires, à cela près que les distributions :

  • à des non-résidents sont immédiatement assujetties à la disposition à la JVM; et
  • à une autre fiducie assujettissent cette autre fiducie à la règle sur la réalisation réputée aux 21 ans au même titre que la première fiducie.

Le gouvernement fédéral appréhende le contournement de ces règles par les contribuables.

Opérations désignées

Trois différentes opérations (ou séries) sont désignées.

La première opération désignée utilise une technique qui permet aux bénéficiaires non résidents de contourner :

  • la règle sur la réalisation réputée tous les 21 ans; et
  • la règle qui empêche le transfert par voie de roulement libre d’impôt à des non-résidents.

En gros, les biens en fiducie sont transférés à une société résidente du Canada qui appartient au non-résident.

Les deuxième et troisième opérations désignées sont substantiellement similaires, mais :

  • la deuxième opération suppose le transfert complet des biens sous-jacents de l’« ancienne » fiducie à une société bénéficiaire;
  • la troisième opération suppose une distribution partielle au moyen d’un rachat d’actions détenues par la fiducie, le dividende réputé qui en résulte étant attribué à une société bénéficiaire.

Toutes deux supposent qu’une « nouvelle » fiducie détient des actions d’une société qui est, ou sera, bénéficiaire de l’ancienne fiducie.

3. Manipulation du statut de faillite pour réduire un montant remis à l’égard d’une dette commerciale

Cette désignation s’applique à la planification qui se sert de la faillite pour contourner les règles sur les remises de dettes. Lorsqu’un débiteur voit sa dette remise, le « montant remis » est généralement appliqué en réduction de certains comptes fiscaux du débiteur (comme le report de pertes) ou doit être inclus dans le calcul du revenu du débiteur. Cependant, le montant remis est réduit à néant si le débiteur est en faillite au moment du règlement de la dette. Le gouvernement fédéral appréhende que les contribuables ne se mettent délibérément en faillite dans le but d’éviter les conséquences fiscales d’une remise de dettes, puis fassent annuler la faillite une fois la dette remise.

Opérations désignées

Cette désignation s’applique à une série d’opérations dans lesquelles :

  • un contribuable est mis en faillite;
  • pendant que le contribuable est en faillite, une dette du contribuable est réglée pour une somme inférieure au principal de la dette; et
  • la faillite du contribuable est annulée par la suite.

4. Recours aux critères d’objet de l’article 256.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour éviter une acquisition de contrôle réputée

Ces désignations mettent l’accent sur certaines règles qui restreignent l’échange de pertes (et d’autres attributs de l’impôt des sociétés) entre personnes non liées. Les règles anti-évitement de l’article 256.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu ciblent les contribuables qui tentent de contourner ces règles en :

  • acquérant des actions dont la JVM égale ou excède 75 % de l’ensemble des actions d’une société, mais sans acquérir le contrôle des voix de la société (la « règle des 75 % »);
  • prenant des mesures pour se soustraire à une autre règle anti-évitement qui restreint le contournement de la règle des 75 %; ou
  • faisant acquérir le contrôle d’une société rentable par une société déficitaire.

Ces règles anti-évitement sont assujetties à des critères d’objet. Le gouvernement fédéral appréhende que les contribuables adoptent des approches abusives quant à l’application de ces critères.

Opérations désignées

Trois différentes opérations (ou séries) sont désignées.

  • Une opération unique dans le cadre de laquelle une société acquiert 75 % ou plus de la JVM de l’ensemble des actions d’une autre société qui détient des attributs fiscaux inutilisés, mais pas le contrôle des voix de l’autre société, et le contribuable adopte comme position qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’une des principales raisons du défaut d’acquérir le contrôle était le contournement des règles sur l’échange de pertes.
  • Une série d’opérations dans le cadre de laquelle une société acquiert des actions d’une autre société avec des attributs fiscaux inutilisés et aurait satisfait la règle des 75 % à l’égard de l’autre société n’eût été du fait qu’une troisième société (liée) fait aussi l’acquisition d’actions de l’autre corporation. Si l’on suppose qu’aucun contrôle n’est exercé par le groupe, le contribuable adopte la position que la règle des 75 % ne s’applique pas, parce qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’une des raisons pour lesquelles la troisième société a acquis les actions était d’empêcher la première société de satisfaire la règle des 75 % relativement à l’autre société.
  • Une opération unique dans le cadre de laquelle une société avec des attributs fiscaux inutilisés acquiert le contrôle d’une autre société qui est rentable. Le contribuable adopte comme position qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’une des principales raisons de l’acquisition du contrôle était le contournement des règles restreignant l’échange de pertes, même si ce pourrait être le cas.

5. Prêts adossés

Ces désignations ciblent la planification qui contourne les règles relatives aux prêts adossés dans les régimes de capitalisation restreinte et de retenue d’impôt des non-résidents. Les règles relatives aux prêts adossés s’appliquent généralement à une planification selon laquelle un non-résident lié finance indirectement un résident canadien au moyen d’intermédiaires. On considère généralement ces règles comme touchant des « prêts » adossés, mais les règles de retenue d’impôt tiennent aussi compte des ententes de prêts adossés à l’égard des loyers et des redevances, ainsi que d’autres arrangements semblables qui remplacent un type de paiement par un autre.

Opérations désignées

Ces désignations semblent s’inscrire dans la catégorie des « opérations dignes d’intérêt ». Deux opérations (ou séries) sont désignées.

La première désignation a trait aux règles sur la capitalisation restreinte et décrit une situation dans laquelle un non-résident conclut une entente avec un non-résident non lié pour fournir indirectement du financement à un contribuable canadien. Le contribuable adopte comme position que les règles sur la capitalisation restreinte ne s’appliquent pas aux intérêts qu’il paie en vertu de l’entente.

La seconde désignation a trait à la partie XIII des règles de retenue d’impôt et décrit une entente de financement similaire, à l’exception près que l’autre non-résident peut être lié. Elle exige également que, si le contribuable canadien a payé des intérêts directement au premier non-résident, ces intérêts soient assujettis à la retenue d’impôt prévue par la partie XIII. Le contribuable canadien adopte comme position que les intérêts :

  • ne sont assujettis à aucune retenue d’impôt; ou
  • sont assujettis à un taux plus bas que celui qui se serait appliqué sur les intérêts payés au premier non-résident.

La désignation inclut en outre des ententes semblables à l’égard des loyers, des redevances et des paiements de nature similaire, et des ententes pour effectuer un remplacement du caractère des paiements. Il en est ainsi parce que les règles sur les prêts adossés pour la retenue d’impôt ont une portée plus large que les intérêts sur les titres de créance.

Délais

Les lignes directrices relatives aux RDO publiées par l’ARC stipulent que :

  • la date d’entrée en vigueur de la désignation d’une opération à signaler est la date publiée sur le site Web de l’ARC (c.-à-d. le 1er novembre 2023 pour ce premier ensemble d’opérations désignées);
  • la date limite pour la production de la première déclaration d’une opération à signaler suivra de 90 jours la date d’entrée en vigueur de la désignation pertinente.

Cela signifie qu’aucune déclaration ne sera exigée avant le 30 janvier 2024.

Les lignes directrices stipulent aussi que, pour une série d’opérations ciblée à cheval sur la date de désignation, la première opération conclue après la date de désignation donnera lieu à l’obligation de déclaration. Par conséquent, une série d’opérations qui est terminée après le 1er novembre 2023, compte non tenu de sa date de début, pourrait ne pas nécessiter de déclaration. Cependant, le formulaire prescrit (RC312) pour la déclaration des opérations à signaler (qui couvre également les opérations à déclarer) ne considère présentement pas la déclaration de chaque opération d’une série. Il n’exige que la déclaration du type d’opération applicable.

À retenir

Maintenant que l’ARC a publié son premier ensemble d’opérations désignées, le dernier élément du régime tripartite de RDO du Canada est en œuvre. Les contribuables, les conseillers et les promoteurs pourraient devoir produire des déclarations de renseignements sur les opérations à signaler dès le 30 janvier 2024. L’ARC continue de publier fréquemment de nouvelles lignes directrices sur les trois éléments des RDO, de sorte qu’il est possible que des lignes directrices pertinentes supplémentaires s’ajoutent avant la date limite de janvier 2024. L’ARC offre un service d’alerte par courriel2 qui devrait permettre aux contribuables et aux conseillers de se tenir au courant.

 

1. Agence du revenu du Canada, « Opérations à signaler désignées par la ministre du Revenu national » (1er novembre 2023) à www.canada.ca/fr/agence-revenu.
2. Agence du revenu du Canada, « Liste d’envois électroniques – Opérations à signaler » à www.canada.ca/revenue-agency.

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