La croissance économique est indispensable pour soutenir le progrès social et une meilleure qualité de vie.

Paru dans le Défi Media du mercredi 29 juin 2022

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Si le Budget 2022-23 tient compte des préoccupations liées à l'inflation et à l'appauvrissement de la population, il ne contient cependant aucune mesure sectorielle nécessaire pour relancer l'économie, estime Anthony Leung Shing. « la croissance économique est indispensable pour soutenir le progrès social et une meilleure qualité de vie », soutient-il. 


Êtes-vous satisfait, ou pas, du contenu du récent Budget compte tenu des attentes et défis issus de la pandémie et du conflit en Ukraine ?

Ce budget a été pour le peuple, tenant compte des préoccupations autour de l'inflation et l’appauvrissement de la population. Comme de nombreux de pays à travers le monde, le gouvernement a annoncé une série de mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages et je pense que c’était nécessaire afin d’éviter une crise sociale.

Cependant, je suis déçu par l’absence de mesures sectorielles pour la relance de l’économie. Le budget prévoit une croissance économique de 8.5% et cela est plutôt optimiste. Avec la guerre en Ukraine et la pandémie qui persiste, les perspectives se détériorent et, selon le FMI, la croissance du pays sera de 6.1%.

Le budget aurait dû privilégier les mesures pour inciter l’activité économique, dont l’investissement, la diversification et la digitalisation des industries.

Ces facteurs sont essentiels pour le développement du pays et nous rentre plus compétitif sur le long terme. 

Quelles sont les grandes lignes de ce Budget qui vous paraissent pertinentes ?

Mis à part la forte dose sociale, le budget vise à stimuler la croissance à travers l’économie verte et la sécurité alimentaire. L’objectif du gouvernement pour atteindre 60% en énergie renouvelable d’ici 2030 est connu et plus d’une vingtaine de mesures ont été annoncées pour ce secteur. Cependant, plusieurs d’entre elles figuraient déjà dans des budgets précédents et de qui manque est une feuille de route claire pour atteindre l’objectif fixé.

En outre, le dispositif de tarification proposé par le CEB n’est pas attrayant : les individus et compagnies vendent l’électricité produite à Rs4.20 le kWh et rachètent en retour à environ Rs8 le kWh. Il faudrait plus d’équité entre producteurs et consommateurs. Le budget fait aussi la belle part à la sécurité alimentaire. Les différentes aides aux planteurs, ainsi que la promotion de nouvelles techniques de l’agriculture et la diversification des produits, aidera à booster l’activité locale. 

 

La part belle qui est faite aux mesures sociales est-elle en rapport avec l’urgence économique ?

Les mesures sociales à Maurice sont essentiellement de nature redistributive puisqu’elles puisent des recettes fiscales de l’état venant des personnes plus fortunées pour soutenir ceux dans le besoin. Pour cela, la croissance économique est indispensable pour soutenir le progrès social et une meilleure qualité de vie.

A mon avis, le pays devrait plutôt miser sur une croissance économique inclusive, qui permet un renforcement du progrès social pour tous et qui ne dépend pas seulement sur une politique de redistribution pour réduire les inégalités sociales.

Le meilleur modèle de développement serait pour la population entière. L’inégalité se réduirait avec la participation des différentes couches sociales à l’activité économique et à la création de la croissance. Les formes de travail et d’emploi doivent évoluer afin que certaines aides sociales soient octroyées pour récompenser l’effort et le gain en productivité. 

Le Budget répond-il à la nécessité de rééquilibrer le déficit budgétaire qu'il est indispensable de traiter en vue de relancer la croissance, comme vient de l’indiquer le FMI ?

Le déficit budgétaire (excluant dépenses en capital) augmente de 24% et passe à Rs6.2 milliards l’année prochaine. Un déficit plus élevé aujourd’hui pèse lourd sur la croissance et implique également des impôts plus importants dans l’avenir.

Dans l’idéal, le déficit devrait être utilisé pour financer des ressources publiques productives qui soutiennent une croissance économique à long terme.

Malheureusement, les dépenses publiques improductives ne cessent de s’accentuer, alors que le gouvernement dépense plus de 35% de son budget annuel (Rs55 milliards) en aides sociales. La situation va s’aggraver davantage avec l’augmentation de la pension universelle.

Tout cela devrait être financé par une dette publique plus forte. Les bénéfices provenant des dépenses non-productives sont généralement inférieures aux coûts associés à la dette publique et l’effet net est négatif sur la croissance du pays. Il faudrait donc revoir les dépenses publiques afin d’optimiser les ressources du pays.

Le gouvernement a décidé d’acquérir deux navires en vue de traiter la question de l’approvisionnement alimentaire d’Inde et d’Afrique du Sud, quelle serait la portée d’une telle mesure ?

Pour moi, la question qu’on devrait se poser, c’est « pourquoi cela arrive-t-il ? ». Oui, la pandémie a aggravé la situation, mais les bateaux se font rares. Non seulement le pays fait face à un problème d’approvisionnement, mais nos exportations restent aussi bloquées. Nos produits sont moins compétitifs sur le marché international.

Aujourd’hui, le pays est desservi par trois lignes maritimes seulement et il faudrait régler la source du problème : le port souffre d’un manque d’efficience et d’infrastructure. Le port peut être un levier de développement et agir au cœur de la reprise économique et devenir un centre régional de plateformes logistiques.

Pour cela, le pays a besoin d’agrandir ses infrastructures, dont l’approfondissement du quai du terminal à conteneurs et la construction de brise-lames, entre autres. Même si certains de ces investissements ont été annoncés dans des budgets précédents, rien n’a été fait à ce jour et, au lieu de dépenser encore des milliards dans des routes et centre communautaires, on devrait accorder la priorité à des dépenses productives comme dans le port. 

Non seulement le pays fait face à un problème d’approvisionnement, mais nos exportations restent aussi bloquées.

L’enjeu de la sécurité alimentaire figure aussi parmi les priorités de ce Budget, dispose-t-on suffisamment de terres agricoles, de main-d’œuvre et d’expertise pour y arriver ?

Etant une Île dépendante du commerce international, la sécurité alimentaire, pour moi, ne veut pas dire être 100% autonome ; l’objectif est de viser un accès fiable à des chaines d’alimentation abordables. Nous manquons de main d’œuvre, alors qu’il y a près de 45,000 chômeurs, dont 15,000 jeunes sans emploi.

Même si la hausse des prix rend l’agriculture plus attrayante, une revalorisation du métier d’agriculteur est nécessaire. Également, la rareté des facteurs de production induit une compétition pour l’appropriation des ressources et des terres. Le budget lance un concept de morcellement agricole intégré et cela allègera le cout d’acquisition des terres, mais les techniques agricoles doivent aussi évoluer pour décupler la productivité. L’agriculture vivrière aide au développement d’une économie circulaire locale et le pays a besoin de la coopération de tous les acteurs de la chaine pour une meilleure gestion de la sécurité alimentaire. 

Le ministre des Finances a rehaussé la barre des 1 million de touristes attendus fin 2022 à 1,4 millions de voyageurs en 2023. Ce chiffre est-il atteignable ?

Le tourisme a retrouvé de l’élan à la suite de la baisse des restrictions sanitaires. Comme je l’ai fait ressortir dans mon analyse du budget, le pays accuse du retard sur la reprise touristique comparé aux Seychelles et les Maldives.

D’autre part, l’accès aérien reste limité, alors que d’autres destinations encouragent les compagnies aériennes à venir. Il faut trouver l’équilibre entre privilégier Air Mauritius tout en restant une destination compétitive. Je m’attends aussi à ce que la hausse des prix du pétrole ait un impact sur l’industrie et, même si la tendance des arrivées touristiques est à la hausse, nous devons rester vigilants. Dans l’ensemble, je suis optimiste mais les perspectives restent incertaines. 

De manière régulière, le FMI demande au gouvernement mauricien de s’engager dans une transformation structurelle. Faut-il revoir de fond en comble notre modèle de développement économique ?

Le pays souffre. L’évolution structurelle reste modeste et la qualité des institutions publiques se détériore. Tout cela se traduit en distorsions et un manque de réaffectation des ressources de secteurs moins productifs vers des secteurs plus productifs.

Dans l’analyse de la situation, j’estime que la perte de productivité, le faible taux d’investissement privé, et les ressources humaines inadéquates agissent comme principaux freins au développement économique. Le pays devient moins compétitif et la politique industrielle (dont les incitations fiscales, subventions ou investissement direct de l’état) semble être incapables de conduire cette transformation structurelle. 

Nous devons nous donner les moyens pour accélérer cette transformation structurelle et, avec une population vieillissante ainsi qu’un manque d’expertise pour développer de nouvelles industries, le capital humain reste clé. Cette transformation structurelle aiderait à consolider les secteurs existants, tout en stimulant l’investissement privé productif vers des secteurs émergents pour un développement durable. 

Le gouvernement a décidé de retirer ses subventions sur un certain nombre de denrées de base, est-ce que cette décision est-elle de nature à fragiliser les familles déjà en difficulté ?

Le gouvernement dépense plus de Rs4 milliards en subventions annuellement. Avec la hausse des prix, ces subventions vont couter encore plus à l’état, et la marge de manœuvre du gouvernement est limitée. Mon opinion sur le sujet est claire : il faudrait que le pays adopte une approche ciblée afin de mieux aider ceux qui sont dans le besoin. Au lieu d’une distribution à toute la population, le ciblage entrainerait une meilleure allocation des subventions et un montant plus élevé par personne nécessiteuse.

Même si le gouvernement a l’intention d’enlever les subventions sur certains produits de base, elle a toutefois indiqué que les prix seront contrôlés et que la STC se chargera aussi de l’importation de certains produits de base destinés aux familles vulnérables. Avec le contrôle des prix, le gouvernement fixera le pourcentage du profit des importateurs. Le poids de l’inflation basculera alors sur le secteur privé qui aura des marges limitées.

Cette situation est dangereuse et il faudrait éviter de créer une situation où la STC devienne un compétiteur direct de nos importateurs. Face à l’augmentation des coûts, ça pourrait entrainer des pénuries. A mon avis, le contrôle des prix a seulement un effet temporaire sur l’inflation, qui s’inverse dès que les contrôles sont enlevés.

Est-ce que le facteur de la consommation peut-il être le moteur de la croissance, comme l’affirme une école de pensée en économie ?

La consommation représente plus de 70% de notre PIB. Aujourd’hui, elle est essentielle pour la sante économique du pays et, avec une inflation galopante, je m’attends à un ralentissement de la consommation des ménages. La dégradation du pouvoir d’achat aura un effet négatif sur la croissance.

A mon avis, l’utilisation de la consommation comme le principal levier de croissance est dangereuse pour un petit pays comme Maurice, puisque nous n’avons pas un marché intérieur suffisamment large ou une capacité de production locale pour soutenir une économie domestique. Nous dépendons beaucoup des importations, et cela entraine une fuite en valeur ajoutée vers d’autres pays. La consommation doit être le fruit du progrès économique de notre pays, et non l’inverse. 

Comment votre secteur, celui de la comptabilité, est-il impacté par les conséquences économiques des deux dernières années ?

Comme pour tous les secteurs, notre premier défi a été de continuer à travailler quotidiennement pour servir nos clients, tout en préservant la santé de nos employés, et en respectant les échéances réglementaires. Pour les cabinets comptables, l’essentiel a été d’aider les entreprises à survivre, à évaluer leur santé financière, et les soutenir dans leurs démarches administratives pour des emprunts ou encore des demandes d’aides à l’État. 

De manière générale, les activités comptables ont continué à opérer et, même si les cabinets comptables ont été peu touchés, nombre d’entre eux ont réduit leur recrutement durant la crise. Après deux ans de pandémie, nous faisons face maintenant à un manque de ressources face à la reprise mondiale, et la guerre des talents est de retour. Le secteur vit actuellement un exode de cerveaux, non seulement vers d’autres industries, mais aussi vers les pays développés.

Comment le retrait de Maurice des listes noire et grise du GAFI et de l’UE respectivement pourra-il participer à la reprise économique de Maurice ?

Effectivement, Maurice est sorti des listes noire et grise, mais ces dernières années ont été très difficiles pour notre centre financier. Bien que nous n’ayons pas connu une fuite massive d’investissements, il y a eu peu des nouvelles compagnies créées, et la réputation du pays a pris un sacré coup.

Ce nouveau contexte aidera à redynamiser les services financiers et à attirer de nouvelles perspectives en termes d’investissement. Il est maintenant crucial que le pays enclenche des campagnes de promotions agressives pour renforcer notre réputation comme une centre sécurisé et conforme aux normes internationales.

Etant sur la liste noire, ce ne sont pas seulement les services financiers qui ont été touchés mais aussi l’immobilier, les échanges commerciaux, etc. Maintenant que les contraintes et procédures administratives additionnelles ont été enlevées, les étrangers et commerçants peuvent plus facilement faire affaire dans le pays et je pense que cela va aider à stimuler la croissance et l’activité économique. 

Comment votre profession s’adapte-t-elle aux outils numériques développés durant ces dernières années et comment les entreprises locales elles-mêmes et avec lesquelles vous êtes en contact, ont-elles intégré ces nouvelles technologies ?

Le métier d’expert-comptable nécessite que nous travaillions régulièrement à distance chez les clients et nous avons de nombreux outils informatiques pour nous y aider. La crise sanitaire a non seulement accéléré le processus de digitalisation des cabinets comptables, mais a aussi engendré certain changement sur l’exécution du travail, du mode de management et de l’organisation.

De manière générale, l’automatisation et la numérisation des tâches sur le marché local reste lente. Cependant, avec la pandémie, les entreprises locales ont dû adopter les nouvelles technologies pour rester actifs en période de confinement. Toutefois, le développement rapide du télétravail, la digitalisation des services, ainsi que l’adoption des outils technologiques ont fragilisé les systèmes de sécurité et les entreprises sont plus vulnérables aux cyberattaques.

L’équipement technique seulement ne suffit pas, et les entreprises ont souvent besoin d’expertise. Malheureusement, les entreprises ne se font pas souvent accompagner et c’est là où le bât blesse. 

Est-ce que vous voyez la mise en œuvre des pratiques de bonne gouvernance en bonne voie à Maurice ?

La gouvernance, pour moi, est à deux niveaux : elle englobe tous les aspects de la gestion des affaires d’un pays ainsi que le monde des affaires. Au niveau national, Maurice reste premier au chapitre de la bonne gouvernance selon le rapport de l’indice Ibrahim 2020 sur la gouvernance en Afrique. Cependant, même si la bonne gouvernance en Afrique s’améliore de manière générale, le rapport 2020 note une détérioration de Maurice.

En 2010, Maurice avait un score de 77.7 et le pays a grimpé jusqu’à 79.5 pour ensuite tomber à 77.2 lors de la dernière évaluation. Ça, c’est inquiétant. Selon l’indice Ibrahim, le pays recule en matière de la protection sociale et des droits de l’homme. Les récents scandales sur la brutalité policière ne feront qu’aggraver la situation.

Au niveau des entreprises, la bonne gouvernance continue à faire son chemin avec le lancement récent d’un tableau de bord national pour permettre aux entreprises de s’évaluer sur les différents principes de gouvernance.

Ces initiatives aident à une meilleure compréhension du code de gouvernance d’entreprise et encouragent son adoption. La bonne gouvernance d’entreprise est en bonne voie et aide à créer confiance pour soutenir une reprise rapide. 

Est-ce que l’ile Maurice est déjà et concrètement considérée comme un ‘Financial hub’ dans notre région, notamment par les investisseurs qui souhaitent faire des affaires en Afrique. Que faut-il faire pour conforter cette position afin de lui donner plus de substance ?

Maurice compte plus de 25 ans d’expérience comme centre financier et est reconnu en tant qu’une plate-forme réglementée et transparente. L’écosystème du pays doit continuer d’évoluer et favoriser d’avantage l’investissement, ainsi que le financement transfrontalier, sur le continent africain.

Pour cela, je pense qu’on devrait attirer plus de compagnies africaines, d’expatriés africains et renforcer notre intégration régionale. Nous devrions faire un meilleur usage de nos accords commerciaux (COMESA ou zone de libre-échange continentale africaine) pour promouvoir le commerce intra-africain et intégrer les chaines de valeurs en ouvrant le pays à l’investissement et l’expertise africaine. Le centre financier mauricien doit se développer en un réservoir unique de compétences et de connaissances, un écosystème de sociétés internationales, gestionnaires de fonds et services spécialisés en Afrique. 

[...] je pense qu’on devrait attirer plus de compagnies africaines, d’expatriés africains et renforcer notre intégration régionale.

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